Mon premier pays, c’est mon enfance

Mon frère et ma sœur sont nés à Santa-Fé, ils sont arrivés en France à l’âge de 2 ans et 1 an à peine, en 1966. Ils ne se souviennent de rien. Pour ma mère c’est une impression de froid et d’humidité, comparé à Santa-Fé où il faisait encore chaud. Dans ces bagages, elle ramenait ustensile de cuisine, de quoi faire à manger sans faire d’achat pendant au moins deux semaines et très peu d’habits adaptés à la saison.

Moi, je suis née en France, dans le petit village d’Île de France où mes parents s’installèrent, deux ans plus tard à Puiseux-en-France en mai 68, pleine période de binage de betteraves et de révolte étudiante…

J’ai toujours eu cette impression d’être née dans ce village par hasard, une erreur de parcours, un revers du destin. Cette terre n’est pas la mienne ni celle de mes ancêtres.

Quelle déception pour mon père d’avoir une autre fille ! Et comme pour y remédier, il me donna un prénom qui lui rappelle son pays, sa mère. Je porte ainsi toute une partie de l’histoire familiale, comme un héritage. Par mon prénom, il voulait ainsi mettre en avant son éloignement et son attachement à sa mère, à son pays. Il me faisait ainsi l’héritière de l’identité de sa mère, c’est aussi ce vers quoi je devais tendre. Après moi, deux autres filles naquirent.

La règle primordiale de vie, établie par mon père, était claire et simple, à la maison tout le monde parlait espagnol, à l’extérieur le français. Je jouais à l’extérieur je parlais français, je rentrais pour manger ou aider ma mère je lui parlais en espagnol, à de rares exceptions comme les devoirs je parlais en français. Mes sœurs, mon frère et moi apprîmes à parler les deux langues en même temps grâce à cette règle de vie. Continuer la lecture de « Mon premier pays, c’est mon enfance »

De Santa Fé à Puiseux en France

En écrivant ces lignes, j’écoute la chanson qui a accompagné mes parents tout le long de leur vie en France, de 1966 à 1993, et par la même occasion mes premières années également : « El Imigrante » du chanteur le plus populaire de flamenco de l’époque en Espagne, Juanito Valderrama(1).

Y adiós mi España querida, 
dentro de mi alma
te llevo metida,
y aunque soy un imigrante
jamás en la vida
yo podré olvidarte. 
Adieu ma chère Espagne
dans mon âme
je te garde
même si je suis un immigrant
jamais de ma vie
Je ne pourrai t’oublier.

C’est l’expression de la nostalgie d’un immigrant pour sa mère-patrie, son pays. Ce déchirement qui dépasse la douleur de quitter son Espagne, et pour mes parents leur village, Santa-Fé.

Ce village andalou est historique car les historiens et les fières andalous vous le diront, il est le berceau des Amériques. En effet, après la dernière bataille livrée par les Rois Catholique contre le Sultan de Grenade, Boabdil, Christophe Colomb y signa avec les souveraines Catholiques Espagnols les accords pour armer trois caravelles et partir pour les Indes qu’il ne découvrit jamais….

Mais ce n’est pas que cela, ce sont aussi des « vegas » (plaines), les plus fertiles de la région, des « cortijos » (fermes) appartenant à des propriétaires et beaucoup de « jornaderos » (journaliers) travaillant à la tâche. Continuer la lecture de « De Santa Fé à Puiseux en France »

Me revoici Arbre partie 2

Me revoici, à vous écrire et à vous exposer une parenthèse de ma vie.

Je suis fille d’immigrés espagnols, mère de 3 enfants et j’ai repris mes études à plus de 40 ans pour devenir formatrice, voilà le constat que je peux faire aujourd’hui. Mais avant de le faire je me suis interrogée sur les chemins ici, sous cet arbre

Je suis issue d’une famille classique, père, mère, frère et sœurs. Il s’agit là de la norme occidentale (en France comme en Espagne), c’est un schéma social, historique banal. Mais pourtant le rôle de mes arrières grands-mères, de mes grands-mères, de ma mère, a été déterminant pour la survie des leurs durant leur histoire, leur passage sur notre terre.

Les femmes dans ma famille ont été les premières éducatrices pour leurs enfants, elles ont parfois contribué a finir l’éducation de leurs maris, en leur donnant un statut de père. Elles humanisaient la société paysanne espagnole par le don qu’elles faisaient de leur personne aux autres.

Je me suis lancée dans la recherche sur internet de la définition du mot Mère. Il s’agit du mot le plus répandu au monde à travers toutes les langues indo-européennes. La racine «ma», une syllabe simple à prononcer. Elle dénote de l’affection et du rôle essentiel dans la vie de l’enfan de la femme qui l’entoure, elle peut être celle qui lui a donné la vie comme celle qui l’élève et lui apporte toute son attention, la mère. C’est le rôle primordial pour Freud dans le développement de l’enfant, dans sa construction.

Je me suis donc mise en quête auprès des miens pour comprendre si c’était aussi le cas aujourd’hui et j’ai repris mon histoire, ma famille, mes parents, mes grands-mères et ma mère ainsi que mes apprentissages en tant que mère. J’ai voulu faire un point d’après mon vécu sur l’évolution de l’émancipation de la femme, à travers ma famille et mon parcours d’enfant, d’adolescente et de jeune femme.

Mes parents sont nés en 1937 et 1940 pour ma mère, mes grands-mères au début du 20 ème siècle. Dans une Espagne en souffrance, dans un désir de république démocratique hors de la portée des institutions religieuses et monarchique mais rattrapée par la dictature militaire opaque et intolérante.

Pour ma part, je suis née quelque part en France, en mai 68 dans le tourbillon des révolutions sociétales, féministe, dans le début de la crise des consciences, du postmodernisme, dans une famille espagnole, immigrée, subissant la dictature franquiste et souhaitant un espoir meilleur en France.

J’ai donc navigué entre deux langues, deux cultures et deux pays et parfois deux visions d’une société jusqu’à en perdre toute identité. Cependant, je me suis toujours sentie privilégiée par cette richesse culturelle. J’ai remonté le cours du temps, je suis allée en Espagne durant la Guerre Civile de 1936 pour retrouver ma famille afin de me rappeler une partie de mon identité actuelle. Et j’ai cette chanson de Maxime Le Forestier qui fait échos en moi «Né(e) quelque part»

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
De Paris ou d’Alger
Pour apprendre à marcher
Je suis né quelque part
Je suis né quelque part
Laissez moi ce repère

Ou je perds la mémoire

Je vous laisse avec cette chanson mais je reviendrai. Laissez-moi un message échangeons sur nos histoires

L’Ocre l’Ebene et le Poulet bicyclette

Aéroport de Marseille Provence, au siècle dernier… Après une course sur la piste qui sembla durer une éternité le grand oiseau pris enfin son envol, les réacteurs à fond, les plastiques de la cabine tremblants, tel un bourdon surchargé, lentement, il rejoignit son altitude de croisière : Direction plein sud, la Haute Volta, Ouagadougou. Ce vieux Douglas Dc8 avait gardé une partie des anciennes couleurs de Capitol Airways, son ancien propriétaire. Oui il volait malgré son âge, sa cabine passagers plus que patinée par le temps, les cendriers crasseux, les accoudoirs souvent branlants : Cet avion, avec les années avait largement fait ses preuves, il avait de la bouteille ! Cela faisait 4 heures environ que nous avions décollé de Marseille, et déjà à travers le hublot, le Sahel déployait son étendue aride : du jaune à perte de vue, avec ces nuances sèches. Je réalisais que dans peu de temps je serai propulsé ailleurs, sans possibilité de retour en arrière. De la curiosité et un peu d’appréhension face à l’inconnu au bout du désert. De la haut j’observais le sol, essayant de percevoir l’ambiance, le décor qui allait m’accompagner tout du long de ce voyage.
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